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Interview Jérémy Pastouret – Créer un média pour mettre en avant le numérique responsable et la qualité

Bonjour Jérémy, peux-tu rapidement te présenter ?

Je m’appelle Jérémy Pastouret, développeur web de formation engagé pour le numérique responsable, que je défends depuis de nombreuses années. J’ai également co-fondé l’association Les e-novateurs, le média du numérique responsable, éthique et inclusif.

Peux-tu nous décrire ton parcours professionnel ?

Diplômé d’un master en informatique, j’ai travaillé dans différentes structures (laboratoire d’astrophysique du CNRS, Météo France, PME, startup, jusqu’au Service public avec Beta.gouv). J’ai été salarié pendant plusieurs années, avant de me mettre à mon compte. J’ai la chance de travailler pour des entreprises et des projets très variés.

En parallèle, j’ai monté un blog proposant des tutos/astuces de développeurs : aujourd’hui, ce site est devenu un véritable média au service du numérique responsable. L’opportunité d’adopter différentes casquettes : rédacteur en chef, journaliste, monteur vidéo…

Pour toi, que représente le Numérique responsable ?

Sur Les e-novateurs, le Numérique responsable se décline en trois piliers principaux :

  • Sobriété
  • Éthique
  • Inclusion

Parfois, certaines des solutions qu’on met en lumière ne cochent pas toutes ces cases. Par exemple, un outil open-source respectueux des données personnelles pourra être considéré comme éthique, mais se révèle aussi moins inclusif qu’un produit fermé à l’interface mieux conçue (qui aura, lui, moins de respect pour les données privées, comme ChatGPT ou Claude AI).

En tout cas, nous considérons qu’un réflexe fondamental consiste à questionner nos usages numériques. Un exemple d’actualité : a-t-on vraiment besoin d’une IA qui « réponde à tout » alors que des outils plus spécifiques fonctionnent très bien, et sont moins énergivores ?

Pourquoi avoir créé un média dédié au Numérique Responsable ?

Parce que ça n’existait pas. Nous sommes les seuls à regrouper, gratuitement et sans publicité, des ressources, conseils, décryptages, initiatives inspirantes, interviews… dédié·es à tous les aspects du numérique responsable. Ce n’est pas facile tous les jours : chaque semaine, le numérique pose de nouveaux problèmes environnementaux et sociétaux.

Le dernier-né du média : la rubrique Flash-info en page d’accueil, qui permet à chacun·e de s’informer en quelques minutes sur les dernières actualités. L’une des news qui m’a marqué récemment, c’est la sortie du trailer d’un film utilisant un doublage généré par IA. L’objectif : reprendre la voix du comédien français décédé qui doublait Sylvester Stallone. Le problème, c’est que le résultat est très mauvais… ça me fait aussi penser au domaine de la traduction. De plus en plus d’entreprises utilisent des IA pour réduire les coûts, mais on se retrouve avec un appauvrissement des langues, des nuances et des mots. C’est exactement la même chose avec le code, on peut utiliser des IA pour en écrire mais sa qualité sera moindre. Au final : plus de temps passé à débugger.

En résumé, on a construit ce média pour que tout le monde, grand public et professionnel·les, puissent se faire une meilleure idée des impacts du numérique et découvrir des outils pour reprendre la main sur leurs usages au quotidien.

Comment s’est passée la création de ce média ?

Tout ça s’est fait petit à petit, on s’est engagés dans cette aventure sans forcément savoir où ça allait nous amener et on a laissé de la place aux rencontres (avec des personnes inspirantes et passionnées) et aux opportunités. On a aussi travaillé très dur et passé beaucoup de temps à perfectionner nos publications, repenser nos interfaces, remettre en question le projet, réfléchir à la valeur qu’on apporte à nos lecteurs·rices.

On est passé d’un blog, qui s’adressait à un public vraiment restreint, à un média émergent lorsqu’on a intégré l’incubateur lyonnais Hôtel71. L’an dernier, nous avons reçu la reconnaissance officielle de service de presse en ligne, délivrée par le Ministère de la culture via la Commission paritaire des publications et agences de presse.

Autre étape significative : notre première campagne de dons en septembre 2024, qui nous a permis de collecter des fonds pour recruter notre première journaliste pigiste. On va continuer sur cette lancée en 2025 !

Comment les sujets sont-ils sélectionnés ?

Les sujets doivent s’inscrire dans notre ligne éditoriale (numérique responsable, éthique et inclusif) et apporter un nouvel éclairage. On se questionne sur ce qui intéressera notre lectorat, on se penche sur les grands événements qui rythment l’année… lorsque les sujets ont déjà été suffisamment couverts par d’autres médias, nous les proposons au format flash-info ou brève.

On encourage nos rédacteurs·rices bénévoles à proposer des sujets, selon leur expérience personnelle ou professionnelle, ou encore ce qui leur tient à cœur. Nous en discutons lors de conférences de rédaction, ou sur notre channel Framateam (un équivalent de Slack hébergé par Framasoft, que nous remercions et dont nous soutenons le travail). C’est aussi l’occasion de noter les idées des membres de l’équipe, creuser certaines pistes, vérifier si certain·es ont des contacts pour mener des interviews.

Quelle différence y a-t-il entre un média et un blog ?

Pour devenir un média, il faut constituer un dossier examiné par la Commission paritaire des publications et agences de presse. L’objectif étant d’obtenir un numéro d’agrément, déterminant si on s’adresse au grand public ou si les parutions relèvent de la presse spécialisée. Cette demande est gratuite, mais il faut remplir de nombreux critères pour obtenir la reconnaissance de service de presse :

  • éditer une publication de périodicité au maximum mensuelle ou un service de presse en ligne ;
  • apporter de façon permanente sur l’actualité politique et générale, locale, nationale ou internationale des informations et commentaires tendant à éclairer le jugement des citoyens ;
  • consacrer au moins le tiers de la surface rédactionnelle à cet objet.

Il faut donc être très régulier dans la publication des articles, se baser sur des sources fiables, vérifier ses dires, rapporter les faits de manière neutre, rémunérer des journalistes, trouver un modèle économique viable (l’une des principales difficultés pour un média indépendant).

Finalement, la principale différence avec un blog, c’est qu’on doit respecter de nombreuses règles. Et puis quand on tient un blog, on peut se permettre de donner son avis, d’exprimer ses joies ou ses craintes, d’avoir un ton très personnel… on ne peut plus le faire avec un média (ou en tout cas beaucoup moins).

J’ai fait une refonte de la taverne qui a permis de diminuer l’impact environnemental du blog de la taverne du testeur. En quoi le site du média « e-novateurs » est-il numérique responsable ?

On s’appuie sur le principe de Jamstack, permettant d’avoir un site le plus statique possible. Après de nombreuses itérations, en passant par du WordPress avec un système de cache, puis à du headless (accès en API au contenu et compilation du site), nous en sommes arrivés à du Next.js précompilé aujourd’hui.

Les images sont compressées et optimisées. Notre charte graphique est aussi pensée pour être la plus légère possible. Nous avons également entrepris des premiers travaux de remplissage de la grille de notation du RGESN (Règlement général d’éco-conception) pour éco-concevoir davantage le média.

Mais il n’est pas toujours simple pour un média de limiter le nombre d’images et de vidéos. La profession est en pleine évolution et les TikTok, Shorts et autres vidéos au format court servent à capter toujours plus l’attention.

Quelles sont les sources que tu conseilles à quelqu’un qui s’intéresse au numérique responsable ?

Les e-novateurs évidemment ! On compile pour vous l’ensemble du contenu numérique responsable en France et à l’étranger (avec une veille sur les publications des médias anglais, américains, allemands, italiens et espagnols). On est également présents sur les différents canaux de discussion de notre écosystème français très riche (ADEME, Les Designers Ethiques, GreenIT…), autant de sources d’informations intéressantes. Chacun de ces groupes publie des travaux édifiants, alors je vous conseille aussi d’aller creuser par là si le numérique responsable vous intéresse.

Quelles sont tes conseils à destination des développeurs pour réduire leur impact ?

Le sujet du moment, en termes d’impacts environnementaux, c’est l’intelligence artificielle. Il faut prendre du recul, lutter face aux chants des sirènes de l’IA. Comment ? En se questionnant toujours sur l’intérêt final, en se demandant si on peut faire autrement. Les résultats générés par l’IA ne vont-t-il pas me faire perdre encore plus temps à corriger les bugs ? …

Je ne dis pas qu’il ne faut jamais l’utiliser. Je recommande simplement de s’en servir à bon escient – et surtout de faire travailler notre ressource la plus précieuse : notre propre cerveau. Il est important de continuer à accomplir par nous-mêmes des tâches complexes, mais aussi d’autres plus simples pour se reposer (et obtenir de petites récompenses !), au lieu de tout déléguer à l’IA.

Dernier conseil : pensez à questionner les usages avec vos clients et vos collègues. Notamment sur l’ajout de fonctionnalités ou de connexion API, afin d’obtenir un service numérique de qualité qui dure dans le temps, pour le bénéfice de vos utilisateurs et utilisatrices

A ce jour, comment considères-tu le choix d’avoir créé le média les « e-novateurs » ?

Je suis persuadé que créer le média Les e-novateurs a été la bonne chose à faire. Après mon déclic sur l’envers de la Tech, au moment du RGPD (Règlement général de la protection des données personnelles), je n’aurais pas pu continuer dans ce domaine sans Les e-novateurs. Le média m’a permis de rencontrer d’autres personnes engagées pour faire émerger un autre numérique, plus positif. Parce que c’est aussi un outil incroyable, permettant de précieuses avancées dans la recherche, d’échanger avec des personnes à l’autre bout du globe, de faire avancer la démocratie et de rendre nos institutions plus transparentes… aujourd’hui, je suis fier d’avoir contribué à créer un média d’intérêt général, et de rassembler une équipe et des lecteurs·rices autour d’un projet qui a du sens.

Souhaites-tu ajouter quelque chose ?

Le numérique est un outil formidable qui a transformé nos sociétés en profondeur. Le problème, c’est qu’il peut aussi servir à polluer, détruire, manipuler, faire peur…

Alors reprenez le contrôle sur le numérique, remettez-le à votre service, utilisez-le intelligemment pour qu’il devienne plus sobre, plus inclusif, plus éthique, plus sûr. Piochez dans toutes les ressources gratuites à votre disposition sur Les e-novateurs, et discutez-en avec vos collègues, vos proches… et venez aussi échanger avec nous !

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