Valentin Guerlesquin: Responsable tests automatisés et tests de performance

Bonjour, qui êtes-vous, quel est votre métier et quelles sont vos activités professionnelles ?

Je m’appelle Valentin Guerlesquin, je suis un spécialiste du test logiciel, aujourd’hui Directeur des Tests Automatisés et des Tests de Performances à la Banque Nationale du Canada. J’ai commencé ma vie professionnelle en France en travaillant dans des sociétés de services informatique. J’ai œuvré entre autre dans la gestion d’environnements de test, le test de performance, le test logiciel sur des applications web et mobiles, la configuration d’outillage de test, le conseil spécialisé auprès de clients sur leurs politiques et organisations de tests. J’ai aussi donné pas mal de formations et je suis intervenu quelques fois auprès d’écoles d’ingénieurs ou d’universités.

Pouvez-vous décrire simplement votre métier ?

Je suis un modificateur d’ADN. Ma mission s’inscrit dans un changement initié au sein de la Banque depuis quelques temps déjà : le DevOps. Pour faire simple, ce mouvement vise à rendre le système de production du logiciel performant, pour raccourcir les délais d’obtention de produits informatiques exploitables. L’idée derrière cela est de faire des TI un avantage concurrentiel pour une institution comme une banque. Dans ce contexte, les tests automatisés (et les tests de performance) tiennent une place essentielle : on ne peut pas livrer « bien » sans tester, et on ne peut pas livrer « vite » sans automatiser. Il faut que l’automatisation soit dans l’ADN des projets de développement, test inclus.

Selon vous quel est le but de votre métier ?

Fondamentalement, il faut avoir une vision, la porter, la diffuser, organiser sa réalisation, tout en explorant sans cesse d’autres horizons. Le but de cela est de pouvoir orienter – et mener à bien – les stratégies de l’organisation.

Que conseillez-vous pour atteindre ce but ?

Il faut avancer. Il est très facile de ne rien faire, mais avancer est plus compliqué. On doit accepter que l’on risque de se tromper, faire des erreurs, de ne pas savoir. Il faut savoir explorer, tout en sachant que cela peut mener à une impasse. Ainsi, on doit faire cela intelligemment : on doit se donner de petits périmètres, pour que l’impasse ne soit pas trop coûteuse.

Qu’est-ce qui vous plait le plus dans votre métier ?

  • Dans le test en général, le challenge intellectuel est une chose passionnante. Sur le papier cela peut paraitre simple mais le test coûte toujours trop cher, ou est trop long. C’est le quotidien des testeurs que de trouver les moyens d’optimiser le temps ou les moyens qui sont durement obtenus pour le rendre utile. De là sont développées tout un tas de techniques ou d’approches qui font la richesse de notre métier. Les outils changent aussi, se développent, et offrent parfois de nouvelles possibilités surprenantes.
  • Dans mon activité en particulier, aujourd’hui il y a un enjeu important et passionnant : dans un contexte ou le test a été vu comme un poste de coût sans grande valeur, il faut le réinscrire dans un exercice sain du développement logiciel. C’est tout une pratique qu’il faut reconstruire, laquelle s’appuie sur l’automatisation bien sûr, mais aussi sur l’implication bien plus tôt des ressources spécialistes du test. Les testeurs professionnels ont un regard exercé et peuvent, avant même les premières lignes de code, apporter beaucoup à un logiciel.

Quels conseils donneriez-vous à des débutants ou des personnes tentées par votre métier ?

  • Cela dépends de quoi nous parlons. Si l’on parle de mon activité actuelle, clairement, ce n’est pas une affaire de débutant. Il faut absolument disposer d’une solide expérience dans tous les aspects du test logiciel, et très bien maitriser le monde du développement logiciel (en particulier les approches agiles) pour mener cela. Et même comme cela, ce n’est pas de tout repos. Donc il faut faire ses armes au préalable, aller aborder tous les métiers du test « classiques » avant, et rester au point techniquement.
  • Si l’on parle du métier du test de façon plus générale, alors je conseille d’avoir plusieurs cordes à son arc. Les meilleurs testeurs que j’ai pu croiser ou avoir dans mes équipes étaient souvent des personnes au parcours non-linéaire. Touches-à-tout, capables de deviner le fonctionnement des systèmes pour aller mettre le doigt là ou ça casse du premier coup. Cela a une grande valeur car l’un des quatre objectifs du test, c’est tout de même de trouver des défauts.

Pouvez-vous nous donner une expérience/anecdote marquante ainsi que ce qu’elle vous a apporté ?

C’est plus une rencontre humaine en fait. La vie professionnelle a mis sur mon chemin Gregory Heitz, une sorte de guru bénéfique qui a su m’apporter énormément pour me faire progresser. On a travaillé ensemble et avec les projets que j’ai eu à mener avec lui, je me suis retrouvé dans des situations d’exploration et de découverte, souvent sur des sujets inconnus ou presque. Je me suis trompé parfois, mais c’est souvent là que l’on apprend le plus. C’est quelqu’un de très humble mais très riche humainement. Encore un parcours non-linéaire lui aussi. Je suis très fier d’être de ses amis aujourd’hui.

Quel est le cliché ou l’idée reçue de votre métier qui vous énerve le plus ? Pourquoi ?

« Les testeurs sont responsables de la qualité ». C’est n’importe quoi. La qualité est l’affaire de tous, et cela est suicidaire de la faire porter uniquement par ceux à qui on ne donne généralement pas les moyens d’agir pour l’améliorer. Cela pourrait être acceptable si vous donnez aussi au testeur la possibilité de décider du processus de développement, refuser des User Stories mal écrites, instaurer les pratiques de revues de code, accepter les démos, etc. Ce n’est pas le cas, et c’est tant mieux. Ainsi, la qualité c’est l’affaire de tous.

Quel est le cliché ou l’idée reçue qui vous fait le plus sourire ? Pourquoi ?

Un client m’a dit un jour : « un test qui n’est pas automatisable est un test qui a mal été conçu, car par nature tous les tests sont automatisable ». Rendu là, la cause est perdue je crois. Je n’ai même pas cherché à démontrer l’absurdité d’une telle assertion. Je crois que je n’ai pas pu cacher un sourire, tout de même. Ce sont les mêmes qui veulent une couverture des tests à 100%. Couverture de quoi, on ne sait pas, mais à 100%. Du code ? Des exigences ? Des cas possibles ? Allez savoir… Il suffit d’envoyer un rapport avec le chiffre 100% quelque part, et ils sont heureux. Si on peut rendre ces gens heureux, ne nous privons pas…

Quelle est la difficulté la plus fréquente à laquelle vous avez dû faire face dans votre métier tout au long de votre carrière ?

  • Plusieurs en fait. Les planificateurs compulsifs d’abord, qui veulent que l’on sache d’avance tout ce que cela va nous demander comme effort pour arriver à nos fins, et qui veulent un plan détaillé au jour près pour les 6 mois à venir. A ceux-là je conseille de revoir Forest Gump, qui même lui avait compris : «  La vie c’est comme une boite de chocolats… ». Ces gens là une fois arrivés dans des projets agiles se mettent à construire les sprints backlog des 4 mois à venir. Nocifs.
  • Ceux qui disent « on a toujours fait comme ça » ou alors « oui c’est bien gentil, mais tu comprends dans notre contexte c’est pas vraiment possible parce que nous on est différent ». Ce sont des difficultés humaines, classiques, clichés même, mais bien réelles.

Quelles sont les personnes qui vous inspirent le plus ?

Ces derniers temps j’ai eu la chance d’entendre en conférence Dorothy « Dot » Graham, Tariq King ou encore Chris Hadfield. Chacun dans leurs domaines, sont des personnes très inspirantes. Dorothy est une sommité du monde logicielle. Elle a su simplement me mettre le nez sur une évidence que je ne voyais plus. Tariq King a fait un excellent keynote début octobre à la conférence Starwest. Elle est normalement visible en vidéo, cherchez-là. Chris Hadfield, c’est l’astronaute qui joue de la guitare. Google et youtube vous aideront, mais la conférence qu’il a donnée récemment à Montréal était surprenante et profondément inspirante. Renseignez-vous sur le bonhomme, je le crois profondément humain.

Comment continuez-vous à apprendre ?

Il faut lire, s’informer, écouter. Explorer aussi : ce que l’on a à apprendre n’est souvent pas décrit ailleurs. C’est la découverte.

Quel est l’outil qui vous semble indispensable pour exercer votre métier ?

Chaque humain dispose de l’outil le plus important : un cerveau. Si votre métier vous amène à ne plus avoir à l’utiliser, fuyez ! Cela peut paraitre convenu mais, sérieusement, notre valeur ajoutée et notre avantage technologique, en tant qu’humain, c’est notre cerveau. L’utiliser, c’est maximiser notre valeur. Peut-être que demain, les machines pourront nous dépasser, mais profitons encore de ce qui nous reste.

Quelles sont, selon vous les prochains challenges que votre métier devra affronter ?

L’intelligence artificielle, assurément. Les récents développements dans ce domaine sont prometteurs. Il ne faut pas prendre cela à la légère. Les machines apprennent, et demain nous ferons probablement du logiciel différemment. A l’échelle de notre civilisation, l’informatique n’en est qu’à ses débuts, des bouleversements majeurs sont encore à venir. Comment tester à l’ère de l’intelligence artificielle ? Quand le logiciel aura appris plutôt que d’avoir été configuré ou codé, quand nos tests aussi feront du Machine Learning, comment pourra-t-on se rassurer sur le fait que tout cela aura été bien fait ? Les concepts du test changeront-ils ? Croire que c’est une utopie, c’est avoir des œillères : des gens encore vivant aujourd’hui sont nés à une époque où ni l’électricité, ni l’eau courante, était répandue dans les maisons. Aujourd’hui Siri me réponds, google reconnait la façade du bâtiment que je prends en photo, amazon mets à ma disposition une puissance de calcul gigantesque pour quelques dollars. Cela va arriver et ce sera bien réel, et sans aucun doutes passionnant.

Avez-vous une devise ou tout autre chose qui vous semble importante dans votre métier ?

L’avenir se construit avec les individus, c’est pour cela que nous devons sans cesse les mettre au cœur de nos actions. J’ai croisé toutes sortes de personnes dans ma relativement courte vie professionnelle. Une constante dans mes observations : ceux qui réussissent le mieux sont ceux qui ont le plus de considération pour les individus. Ceux qui font reposer leurs activités sur les process, les méthodes, les outils, la « rigueur », et qui déconsidèrent ou négligent les gens, parfois arrivent à leurs fins, mais ne construisent jamais pour l’avenir. J’essaie d’agir avec cela à l’esprit.

Souhaitez-vous ajouter quelque chose ?

Oui, il est de notre devoir de transmettre. En tant qu’humain d’abord, mais aussi en tant que professionnels. Quel que soit votre activité, je vous invite à considérer comme devoir impérieux la transmission et l’apprentissage. Par exemple, en ayant dans votre équipe une personne qui a tout à découvrir. Œuvrez pour lui donner toutes les occasions d’apprendre, dans tous les domaines. Il ne s’agit pas d’enseignements, mais bien d’opportunités d’expérimentations et de découvertes. Imaginez la richesse que vous auriez pu retirer si vous aviez eu la chance de tomber sur un collègue ou un chef comme cela, qui vous laisse apprendre par vous-même mais qui vous apporte un regard expérimenté, sans condescendance ni  dogmatisme, et qui s’assure de vous alimenter avec de nouveaux horizons, régulièrement. Si vous réussissez à appréhender la richesse que cela aurait pu vous apporter, alors vous comprendrez l’importance que cela peut avoir. Soyez désintéressé dans cette action, n’attendez rien et espérez simplement que ceux que vous aiderez feront de même à leur tour. C’est comme cela que l’on peut construire l’excellence professionnelle, selon moi.

Interview inspirées des interviews du blog Lyon testing qui sont très intéressantes et que je vous conseille.

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