La taverne du testeur

Programmez: les défis de la qualité durable

J’ai écrit cet article qui a été publié dans le magazine Programmez en collaboration avec Nabil Idhammou.

Les problèmes actuels de l’IT

Vous l’avez sans doute déjà remarqué mais l’IT fait actuellement face à de nombreux défis.

Le premier auquel je pense est évidemment celui de l’article du Hors-Série Qualité de décembre 2022 sur la qualité du magazine programmez. Nous faisons face à des logiciels de plus en plus puissants et performants qui ont de plus en plus d’impacts, souvent négatifs, sur nos vies. Le temps où seuls les logiciels jugés critiques comme les logiciels embarqués dans les avions pouvaient influer fortement sur la vie de ses utilisateurs est révolu. Les exemples à ce sujet sont légion (Les études de Facebook sur le comportement, cambridge analytica, le scandale des allocations familiales aux Pays-Bas…) et touchent tous les secteurs (assistants vocaux, réseaux sociaux, plateforme de vidéo à la demande…). Une des sources identifiées à ce problème est l’absence de critère qualité lié à l’humain. La qualité des logiciels est évaluée et mesurée de nombreuses manières à travers des indicateurs mais pas d’un point de vue humain avec un axe éthique, calcul d’impact ou même de durabilité pour l’environnement de vie de ses utilisateurs.

Un deuxième défi est potentiellement plus visible si vous travaillez dans l’IT car vous faites face à ses conséquences quotidiennement : l’environnement de travail n’est pas durable. Les produits (logiciels et hardware) se suivent et ont des durées de vie toujours plus courtes. De nombreux professionnels de l’IT sont de moins en moins engagés à cause notamment d’un manque de sens dans leur travail qupotidien. A quoi bon s’investir dans un environnement où je ne m’épanouis pas ? Pourquoi s’investir pour un produit qui n’existera plus dans 2-3 ans ? Pourquoi s’attacher à des personnes sachant que je ne serai là qu’au plus 3 ans et que d’ici là plus de la moitié des membres de l’équipe seront partis ? Toutes ces interrogations sont de plus en plus courantes et se traduisent par un désengagement au travail, un turn-over important et le phénomène de « la grande démission » que connait les Etats-Unis.

Un troisième défi, tout aussi important, est celui de l’impact de l’IT sur l’environnement qui est de plus en plus grand. Cet impact est lié au « software » mais aussi au « hardware ». Les logiciels consomment de plus en plus de données (souvent inutiles comme les pubs ou des images trop « grosses ») qui sont de moins en moins performants. De même ces derniers nécessitent des terminaux toujours plus puissants et rapidement obsolètes… alors que l’impact sur l’environnement de la construction des terminaux représente un peu plus du ¾ des émissions de CO2 de l’ensemble de leur durée de vie. Voici quelques chiffres :

Une solution proposée : la qualité durable

Vous l’aurez noté, ces 3 problématiques complexes ont un point commun : le manque de durabilité ! Les logiciels ne sont pas pensés avec leur impact à moyen et long terme. Les personnes travaillant dans l’IT ne se projettent plus autant sur la durée. Enfin l’IT ne prend toujours pas sa part dans la réduction de ses impacts environnementaux alors que cette industrie pollue toujours plus.

Il existe de nombreux groupes de travail qui se penche sur ces sujets, et plus particulièrement sur celui de l’impact environnemental. En France il y a notamment l’INR (Institut du Numérique Responsable) qui met en avant des questions à se poser lorsque l’on propose un service numérique notamment en termes de stratégie. Parmi ces questions il y a :  

Le service numérique a-t-il été évalué favorablement en termes d’utilité en tenant compte de ses impacts environnementaux ? Cela pose la question d’un véritable travail d’impact environnemental de la solution proposée que seules certaines entreprises spécialisées ou « à mission » se posent.

Le service numérique est-il utilisable sur des terminaux datant de 5 ans minimum ? qui pose la question de l’accessibilité du service par des personne n’ayant pas de terminaux très récents… ce qui permet par exemple de conserver son smartphone plus longtemps.

La solution proposée pour contribuer à lutter contre les 3 problématiques énoncées est donc forcément liée à cette absence de durabilité. C’est pourquoi nous avons opté pour le concept de « Qualité durable ». Cette dernière prend en compte aussi bien les aspects humains que les aspects écologiques, les aspects software que les aspects hardware, les aspects liées aux parties prenantes que les aspects impactant les personnes qui ne sont pas partie prenante de la solution.

Ceci étant posé il est important de réussir à faire de cette qualité durable une réalité. Et pour cela il va falloir passer par de nombreux défis. En voici 7 que nous avons identifiés.

1er défi : faire comprendre pourquoi la qualité durable doit être mise en place

Faire de la qualité durable, c’est bien mais au final qu’est-ce cela va m’apporter ? Comment cette qualité sera-t-elle perçue par mes utilisateurs ? Pourquoi devrais-je prioriser la qualité durable et pas autre chose ?

Ces questions reviennent régulièrement (et pas que pour la qualité durable) et sont souvent une des raisons de l’inaction. Quasiment tout le monde est convaincu de l’urgence climatique et de l’importance de limiter la consommation d’énergie fossile. Cela n’empêche cependant pas de continuer à financer massivement les projets d’extraction. Pourquoi ? Car le problème de l’écologie est malheureusement dépriorisé car pas assez rentable ou pas assez important aux yeux des décideurs.

Afin de mettre en place la qualité durable il est donc essentiel de faire comprendre ce que l’on a à gagner à faire de la qualité durable.

Les gains se font principalement sur 4 axes :

– La faculté à limiter son impact sur l’environnement et de le protéger à travers des actions permettant de limiter les ressources utilisées et la pollution émise par le service proposé.

– La faculté à pérenniser son produit et donc d’améliorer sa rentabilité sur la durée avec des blogs réutilisables, maintenables, répondant aux normes d’accessibilité et de sécurité…

– Le fait de pouvoir s’adapter plus facilement aux changements avec des architectures de solutions bien définies, la possibilité de faire évoluer le produit simplement pour répondre à de nouvelles normes, nouveaux usages et nouveaux terminaux.

– Remettre au cœur du service et de la réflexion les utilisateurs de la solution comme le préconise les démarches agiles. Il est préférable de faire moins et mieux.

Il existe également un 5ème axe plus indirect avec une attirance d’utilisateurs ou de collaborateurs sensibles à l’égalité et à l’écologie qui se recherchent des sociétés responsables.

2ème défi : comprendre ce qu’est concrètement la qualité durable

Convaincre les décideurs de faire de la qualité durable est nécessaire. Ce n’est cependant pas suffisant. Il existe de nombreuses entreprises / équipes qui ont été convaincues de passer aux méthodologies agiles mais qui faute de bonne compréhension se retrouvent à échouer dans leur transformation. Il faut autant que possible éviter cela ce qui n’est pas forcément simple avec la qualité durable.

En effet la qualité durable n’est pas du Green IT car le Green IT se concentre sur les aspects environnementaux alors que la qualité durable s’attarde aussi sur les aspects humains d’un point de vue utilisateur, non utilisateur mais aussi parties prenantes (équipes de développement au sens du Scrum Guide, UX, business…)

De même la qualité durable ne se limite pas au logiciel mais se penche aussi sur les hardwares.

Au final la qualité durable est avant tout un état d’esprit où l’on se doit de penser à 360° en identifiant les impacts probables tout au long du cycle de vie du service numérique. Cette qualité durable se retrouvera à travers des bonnes pratiques comme le BDD et la limitation de l’utilisation des librairies souvent trop lourdes, une capacité à anticiper avec une gestion des risques et une anticipation des possibles changements d’échelles de l’utilisation de la solution, un retour à la simplicité en optimisant le code, en faisant moins mais mieux ou encore en évitant le superflu.

3ème défi : mettre en place la qualité durable

On pourrait croire qu’il est maintenant possible de souffler car on a réussi à convaincre de faire de la qualité durable tout en identifiant bien ce qu’est cette qualité. Ce n’est malheureusement pas si simple ! En effet, une démarche de qualité durable nécessite une transformation. Comme toute transformation (vous l’avez sûrement connu avec l’Agile) il est nécessaire de se fixer des objectifs atteignables et des points de passage. De même il est important de savoir communiquer sur cette transformation ses succès, ses raisons, ses objectifs ; de savoir mesurer ses impacts (souvent avec des indicateurs) et bien souvent d’être accompagné par une personne extérieure apportant un regard différent et sa connaissance du sujet.

4ème défi : mesurer les impacts de la qualité durable

Dans la partie précédente le thème des mesures est abordé. Cela nous amène donc à la problématiques des indicateurs… et donc des objectifs. Afin de réussir la transformation vers une qualité durable il parait essentiel de bien définir ses objectifs en fonction de son contexte (axes d’amélioration, sensibilité des acteurs, possibilités offertes…). De même il faut également savoir sur quoi et sur qui faire ces évaluations.

Les réponses sont aussi variées que les contextes c’est pourquoi nous proposons ici que des pistes d’indicateurs en fonction d’objectifs potentiels :

5ème défi : identifier les rôles de chacun dans la qualité durable

Il est de coutume lorsque l’on travaille sur la stratégie d’une entreprise ou la stratégie de développement/de test de faire des matrices RACI. Cet outil permet d’identifier des rôles et responsabilités. Cet aspect est essentiel dans une démarche de transformation vers la qualité durable car dans le cas contraire on peut vite arriver à un problème bien connu : « si tout le monde est responsable alors personne ne l’est vraiment ». Il semble cependant bon de noter que les rôles de la qualité durable vont en général au-delà des rôles habituels du RACI car dans la qualité durable on inclut également les utilisateurs et non-utilisateurs.

Les questions auxquelles ont doit pouvoir répondre sont : Qui apporte quoi dans la qualité durable ? Qui est impacté et comment ? ou encore Qu’est-ce que je peux faire à mon échelle ?

Il est compliqué de répondre efficacement aux 2 premières questions sans contexte. Par contre, à son échelle il est toujours possible de faire de la sensibilisation, de la veille, de contribuer aux différentes initiatives ou tout simplement de prendre en compte les aspects de qualité durable en tant que consommateur.

De manière générale il est possible de diviser les personnes ayant un rôle dans la qualité durable en 3 groupes :

– Les parties prenantes non utilisateurs qui se doivent de penser le service numérique dans sa globalité

– Les utilisateurs/consommateurs du service devant l’utiliser avec sobriété

– Les non utilisateurs potentiels futurs utilisateurs ne devant pas souffrir d’impact négatifs et étant de potentiels futurs utilisateurs.

6ème défi : identifier le bon moment pour implémenter la qualité durable

La qualité durable c’est vraiment bien. Mais est-ce vraiment pour mon produit qui est déjà en production ? Est-ce pour mon produit qui arrive en fin de vie ? Je vais commencer à travailler sur mon service dois-je dès maintenant penser à la qualité durable ?

La réponse est la même pour toutes les questions : Oui !

Il n’est jamais trop tard pour faire de la qualité durable et limiter ses impacts. De même, tout comme pour tous les aspects de la qualité, plus on s’y prend tôt, plus c’est efficace. Quand on le peut, il faudrait même faire du « Durable by Design ». Il n’est cependant jamais trop tard pour faire de la qualité durable car même un logiciel en fin de vie est amené à avoir des déchets qu’il va falloir limiter. Il faut également ne pas perdre de vue que cette exigence de qualité doit être présente tout au long du cycle de vie de la solution car le plus dur dans la qualité n’est pas de l’avoir mais de la conserver !

7ème défi : identifier le bon endroit pour mettre en place la qualité durable

Ce défi est potentiellement un des plus complexe à résoudre tant l’économie IT est actuellement globalisée. Il est cependant nécessaire de savoir où localiser ses développements afin de limiter la consommation de ressources (tant matérielles, qu’écologiques et humaines), savoir où localiser ses serveurs en fonction de l’activité des utilisateurs, bien identifier les partenaires avec lesquels travailler ou encore s’assurer que l’on suit bien les différentes normes comme la RGPD.

Au final les axes de réflexions se font sur l’optimisation des différentes ressources, le respect des normes, l’évaluation de l’impact environnemental en fonction de la localisation et la proximité des différents acteurs.

Conclusion

La mise en place de la qualité durable n’est pas un long fleuve tranquille ! Le retour sur investissement de son implémentation est cependant, en plus d’être nécessaire, très important si l’on réussit à bien l’implémenter.

Car au final, la qualité durable c’est de la création de valeur sur la durée à destination de l’humain.

Cette qualité s’appuie sur 3 piliers, que sont les bonnes pratiques, la pensée à long terme et le fait de penser à l’humain :

Il reste important de ne pas prendre la qualité pour ce qu’elle n’est pas et éviter le piège du « durable washing » pendant du « Green washing » pour la qualité durable :

Présentation du groupe de travail

Tout ce travail n’est pas le fruit d’une réflexion personnelle mais celui d’un collectif

ContributeursPosteActivités
Marc Hage ChahineSpécialiste test – conférencier – blogueurConférences et articles sur le « critère qualité humain »
Nabil IdhammouIngénieur conseil en test – ancien développeurDémarches RSE – formations
Zoé ThivetIngénieure test – conférencièreConférence écriture épicène – Conférence Tedx – Chaîne youtube « Monofruit »
Julien CahuExpert automatisation des testsContributeur « critère qualité humain » – formation – gamification
Stanislas BobiecExpert test méthodes et outilsContributeur « critère qualité humain » – démarches Green IT
Michael GranierDirecteur des opérationsDémarche 0 déchet
Benjamin ButelExpert / Coach testTravail pour un fournisseur d’énergie verte – formation
Lydie HuonCoach agileFresque du climat – organisation « demain c’est maintenant » – éco-conception
Sylviane LuongCoach agile et professionnelMembre de nombreuses organisations – participation « demain c’est maintenant »
Florian CassiniCoach agileTeam for the planet – Associé Green-got
Guillaume KerrienChargé du numérique responsable pour Toulouse MétropoleContributeur à des projets de l’INR – Expert formateur en numérique responsable, qualité logicielle et écoconception
Bruno LegeardExpert test – enseignant université – membre bureau du CFTLOrganisation JFTL – formations – suivi fresque du climat
Eric PatrizioDéveloppeur – Artisan logicielEngagé pour des produits maitrisés et durables

Pensez à rejoindre le groupe « Le métier du test » si vous souhaitez échanger sur le test

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